Bon, suite à quelques remarques d'amis, j'ai constaté que tout le monde n'était pas forcément vraiment au courant de ce qui se passe avec les primaires américaines, et notamment Sanders, mais que les gens étaient quand même intéressés, donc je vais expliquer rapidement "
what the fuck is going on", comme ils disent dans leur charmante langue. J'avais rédigé un billet sur la question, mais je vais tenter de reprendre ça de façon plus didactique.
Bon on commence par ce que chaque français sait par le peu que Libération ou TF1 veut bien lui expliquer : les élections Américaines, il y a encore un an de cela, s'annonçaient profondément ennuyeuses. Pour candidats attestés, l'on avait guère guère que Hillary Clinton contre Jeb Bush. L'horreur absolue : une guerre de dynastie. Le système de domination américain était promis à vivre longtemps...
Cependant, à la fin de l'année 2015 et à la veille du début des primaires en janvier, deux grandes transformations totalement imprévisibles ont renversé la tendance.
La première est assez connue : c'est l'arrivé du multimilliardaire Donald Trump, le trublion libre de la droite radicale américaine (une sorte de Super Tapie de droite, en clair).
Trump, pour bien cerner (car nos médias sont plus dans l'émotion que dans la réflexion), c'est vraiment le stress du petit peuple de droite comme le FN chez nous, sauf qu'aux Etats-Unis, cela correspond plutôt à la mentalité
Tea Party, avec une méfiance envers l'Etat central et les politiques internationales aventureuses, et donc parallèlement un côté plutôt pro-libéral et pro-business. Trump est à la base un indépendant, mais il s'est inscrit au parti Républicain uniquement pour se présenter aux primaires, et a globalement fait campagne en disant
grosso modo : "moi, je suis incorruptible : je suis multimilliardaire et je finance moi-même ma campagne. Et Hillary, elle peut venir : c'est moi qui ai financé ses précédentes campagnes en 2008 !" – ce qui a eu un gros retentissement, car rapidement, les élections de 2016 étaient très critiquées pour l'aspect générique et "pro-establishment" dans laquelle elles s'annonçaient. Du coup, il a mis tous les républicains en "otage" puisque, comme le veut la règle des primaires, celui qui les gagne doit avoir tout le parti derrière lui.
Donc ça c'est à droite. Vous en avez entendu parlé abondamment, car les médias français adorent Trump, il est grossier, raciste, ressemble physiquement à Le Pen si on en croit Libération, bref tout ce qui fascine nos médias qui n'ont que le mot "Front National" à la bouche (à se demander si ils sont pas fascinés par répulsion... sorte d'amour-répulsion).
Mais le truc le plus intéressant, c'est quand même Bernie Sanders, et ce pour plusieurs raisons sous-terraines que les médias français semblent avoir totalement ignoré, vu qu'ils pensent plus sous le coup de l'émotion qu'avec leur tête.
Donc Bernie on résume rapidement :
> Il est arrivé au milieu 2015 un peu de nulle part.
C'est un socialiste démocrate autoproclamé, ce qui évidemment faisait d'abord rire au sein d'un pays où le seul mot de "socialisme" fait souvent peur.
> Il a dit qu'il faisait sa campagne
sans aucun financement d'aucune sorte (les fameux
Super-PAC des lobbies et des ONG)
en dehors des syndicats et du financement participatif. Sa campagne fonctionne sur le démarchage militant,
avec un militantisme local très actif (il sait qu'il n'a pas accès à la télévision et aux mass-media aussi fortement qu'Hillary, mais ses militants font inlassablement du porte-à-porte et vont dans les lieux publics ou les lieux de travail)
> Il est très apprécié pour
sa qualité d'honnêteté : il a un casier politique vierge de scandale, n'a jamais voté contre ses idées pendant qu'il était congressman puis sénateur, et n'a jamais caché ni nié ses idées socialistes (dans un pays où professer ces idées a valeur disqualifiante). Il a été élu maire du Burlington à quatre voix de majorité au début de sa carrière politique, et a suivi une ascension très progressive.
On se rafraîchira la mémoire avec cette vidéo de 2012, qui avait fait du buzz sur internet, en son temps... (et moi qui croyais à l'époque que c'était un populiste du
Tea Party qui parlait !)
> Il a un programme franchement très radical qui consiste à
restaurer le contrôle bancaire, faire payer Wall Street, et utiliser les richesses récupérées pour
rendre l'éducation (du primaire au supérieur) gratuite et annuler la dette étudiante (la prochaine grosse bulle sur le point d'éclater aux Etats-Unis, les étudiants américains émigrant en Europe ou dans le monde anglo-saxon pour ne pas avoir à la payer...). Evidemment, comme Trump, son programme en politique internationale et sécurité est de
mettre fin à l'interventionnisme et d'arrêter la politique de surveillance de masse aux Etats-Unis (Patriot Act).
Comme Trump, il s'est inscrit au parti démocrate uniquement pour être présidentiable, et n'a donc aucun passé ni aucune attache avec ce parti (il était indépendant, et le seul élu socialiste de... toute l'Histoire des Etats-Unis).
Bon, avec un programme pareil, on se dit qu'il n'a aucune chance de marcher. D'autant qu'il est très rationnel,
dit vouloir parler aux gens avec un langage raisonnable, bref, vraiment un original dans la politique américaine, face à la très photogénique Hillary qui est soutenue et financée par les plus grands trusts industriels et bancaires américaines (dont la proverbiale banque Goldman Sachs).
Quelques éléments cependant ont commencé à réellement faire bouger les choses.
Tout d'abord, la "base" a pas mal bougé : Sanders a déplacé les foules dans toutes ses réunions autours des Etats-Unis pendant l'année 2015, une évolution sous-terraine qu'aucun média français n'a constatée d'ailleurs (ça parle pas de l'extrême-droite et de la xénophobie, ça doit pas être assez palpitant).
Cela s'est joué surtout sur ses déclarations assez dures sur le système de Wall Street, et son accusation face à Hillary d'être la candidate de l'establishment, et que "jamais aucune élection d'aucun candidat ne changera rien" tant que le système financier de Wall Street ne sera pas réformé.
Maintenant je ne vais pas non plus faire un dossier sur pourquoi Bernie Sanders est quelqu'un qui, vu d'un point de vue neutre,
peut l'emporter (car il n'y a pas que l'extrême droite dans la vie), mais il faut clairement constater que Bernie Sanders est en mouvement ascendant depuis le début des primaires.
Totalement inconnu il y a encore six mois,
il a mis Hillary Clinton sur le qui-vive pendant le dépouillement de
la toute première primaire démocrate dans l'Etat de l'Iowa en fin janvier, qui s'est jouée à cinq voix prêtes (donc 48,8% pour Clinton face à... 48,6%.). Ca a été une surprise totale. Mais la plus grosse surprise a été
la victoire écrasante de Sanders de 60% sur 40% face à Hillary Clinton le 9 février dans l'Etat du New Hampshire, qui a clairement montré que Sanders était présidentiable.
Après, les arguments face à lui sont essentiellement
que Hillary Clinton reste la favorite des "minorités" et des lobbies "pro-" (pro-féministes, pro-blacks, pro-hispaniques...), ce qui, dans le parti démocrate, joue un rôle énorme. Un grand argument a été de dire que Sanders était le candidat des petits blancs frustrés, et qu'il allait se ramasser face aux Etats du sud plus multi-ethniques. Le Nevada devait être une déroute pour Sanders, mais le résultat ci-dessus montre qu'il tient encore bien la route, sachant qu'il a l'essentiel de son potentiel dans les électeurs non-démocrates (donc en situation de primaires ouvertes, ce qui dépend de chaque Etat).
La grosse question est de savoir si, oui ou non, Sanders brisera le "Firewall" de Clinton, sachant que les jeunes votent, indistinctement de leur ethnie ou du sexe, très très majoritairement pour Sanders (on parle de 90% pour les moins de 25 ans... et je jure de ne pas exagérer).
Après, la question est de savoir si Sanders restera "juste sous la barre", ou si il réussira la percée décisive qui lui fera "vaincre" Clinton. Pour le moment, rien n'est sûr, mais il faut juste savoir que
la campagne de Sanders est une campagne au long cours, et que ses vrais fruits se verront surtout en Mars et en Avril. La courbe des sondages le montre clairement...
Le temps joue pour Sanders. La question est de savoir si il réussira ou non son incroyable pari. Pour un ensemble de raisons, des experts et des simulations ont affirmé depuis quelques mois que Sanders avait toute ses chances, ce qui est un gros plus psychologique, d'autant plus que Bernie Sanders joue sur une campagne basée sur l'optimisme ("
A future to believe in") et sur l'absence d'egocentrisme ("
not me, US", et un usage très modéré du "je", face à Hillary qui parle d'elle et de son expérience tout le temps).
Enfin, pour ceux que ça intéresse, il y a toujours des débats télévisés, comme celui qui avait eu lieu au New Hampshire, entre Clinton et Sanders (il faudrait en chercher un plus récent, mais si j'en trouve un en rapport avec la Caroline du Sud la semaine prochaine, je la posterai).
Je pourrais développer plus tard si ça intéresse, juste pour dire que les élections américaines de 2016 s'annoncent
très intéressantes et que, contrairement à toute attente, il se pourrait bien qu'on ait une vraie transformation politique, vu que des deux côtés, à gauche comme à droite, ça bouge beaucoup. Et les Etats-Unis ayant une influence énorme sur le reste du monde, ça ne peut que nous concerner indirectement... (et puis soit dit en passant, un candidat qui se dit
socialiste aux Etats-Unis et qui
parvient à tenir tête, juste ça, ça tient du roman politique)